Comme il est compliqué, lorsque l’amour naissant

N’est pas tout à fait né, de lire entre les lignes !

J’espérais bien ne pas avoir, adolescente,

De ces moments grinçants, d’analyse de signes,

D’interprétation de chaque mouvement…

« C’est facile, tu verras ! Tu sais quand c’est le bon ! »

Quelle naïve phrase… Adultes, taisez-vous donc !

Ne laissez croire à ceux qui, bien aveuglément,

Croient tout ce que vous dites, qu’il est assurément

Facile de savoir que l’on est amoureux !

Mon dieu, quelle corvée ! Bien sûr que l’on nous ment !

Quel courage il nous faut, quel sujet sulfureux !

Me voilà donc assise, sans rien me demander,

Près d’un ami très cher, sans plus d’intimité,

Mais cela fait un temps que des questions s’insèrent

Dans ma tête égarée par l’amitié sincère

Qui jouxte avec malice un autre sentiment ;

Mais je ne peux choisir, malgré l’acharnement !

​

Nous voilà tous les deux, comme beaucoup de fois,

Discutant sans pression, vivant l’instant présent.

Nous sommes jeunes, heureux, nous rions quelquefois,

Et il est, à mes yeux, être cher, confident.

Cela fait quelques mois que nous passons ensemble

Presque tout notre temps, racontant nos soucis.

Nos idées sont communes, nos valeurs nous rassemblent,

Nous partageons sans mal nos visions de la vie.

Je me suis, après tout, déjà questionnée

Sur la nature intense de la relation.

Oui, nous sommes très proches, mais est-ce bien assez

Pour oser supposer une autre inclination ?

Et puis vient cet instant où, après quelques verres,

Nous nous retrouvons seuls, allongés, étourdis.

Quelques mots prononcés, là est la tragédie,

Viennent chambouler tout. Mon cœur est à l’envers,

Ma tête ne répond, ma bouche balbutie

Quelque suggestion, sans être claire, ma foi,

Sans répondre vraiment, embrumant les esprits,

Encore plus qu’avant, me laissant dans l’émoi…

​

« Quels étaient donc ces mots jetés à la volée ?

En quel honneur, monsieur, avez-vous murmuré ?

Pourquoi glisser ces notes au creux de mon oreille ?

Auriez-vous donc envie que la passion s’éveille ?

Puis-je croire, impossible, que vous m’aimez un peu ?

Puis-je espérer promesse d’un futur amoureux ?

Voulez-vous préciser ce que vous attendez ?

Je suis perdue, confuse, voulez-vous bien m’aider ?

Que voulez-vous donc dire ? Est-ce une invitation ?

Pourrais-je à ce moment saisir une occasion ?

Monsieur, c’est long, enfin, je vous prie, répondez !

Que je n’attende en plus des questions qui m’inquiètent

Que vous daignez ouvrir votre cœur à ma tête !

Est-ce enfin un baiser que vous me proposez ?

Ou n’est-ce que ballade à vos yeux amusés ?

Ce serait bien cruel d’ainsi jouer de moi !

Est-ce un doux cauchemar dont vous êtes le roi ? »

​

Comme j’aurais aimé avoir cette franchise !

Ce courage de dire, ô, combien je me perds

Entre les gestes purs et ceux que je n’espère

Que parce que j’adore une affection acquise !

Mais non, j’ai bégayé, j’ai agi comme si

Tout était bien normal, ignorant l’ambigu.

Je suis restée muette, embarrassée, j’ai ri,

J’ai changé de sujet, ramant comme j’ai pu.

Et voilà, seule chance, envolée, de savoir

Si ce qui se passait n’était que dans mes rêves !

J’ai loupé l’occasion, j’ai ruiné mes espoirs,

Et l’ai laissé confus… Mais je suis bonne élève,

J’apprends de mes erreurs, je me suis dit : « Tant pis !

La prochaine rencontre, j’aborde le sujet ! »

Mais bien sûr ! Croyons-y ! Il se trouve qu’après

N’est pas venu si tôt, et l’on ne se revit…

Alors je résolus à ne jamais parler

De ce rapprochement que nous n’avons saisi,

Et me suis dit : « Très bien ! Gardons notre amitié,

Oublions nos questions, restons dans l’indécis… »

​

Les mois passent en douceur, à petit pas me quittent

Les angoisses du cœur, les doutes qui m’abritent,

Et je n’y pense plus, quittant la phase horrible

Où je voulais savoir s’il était disponible.

Je ne sais pas si, oui, il ressentait pareil.

Je ne sais pas si, oui, je désirais bien plus.

Mais je n’y pense plus, et plus rien ne m’effraye,

Quand je parle avec lui, la crainte a disparu.

Et je me dis : « Victoire ! Les questions sont passées !

Peu importe mes peines, j’ignore vérité,

Peut-être, s’est-on ratés, mais me voilà guérie,

Plus besoin d’analyse à chaque mot sorti ! »

Naïve, encore une fois ! Même après tout ce temps,

Garder amitié saine est un effort constant,

Car voilà que j’apprends par un tiers imprévu

Qu’il se posait autant d’ombres que j’avais eu !

​

« Mais c’est fini pour moi ! Je ne veux replonger !

Pourquoi me rapporter les doutes qu’il avait ?

C’était il y a des mois, j’ai bien tourné la page,

Il n’avait qu’à parler des questions qu’on partage !

Mon dieu, je ne veux plus me reprendre la tête,

Je ne veux plus l’angoisse au moindre de nos actes,

Réfléchissant aux mots et signes qui m’arrêtent

Et m’empêchent le soir de m’endormir intacte !

Je veux vivre tranquille, ne plus me projeter,

Ne plus me demander si je l’aime vraiment !

Je ne veux plus souffrir de l’instabilité

De mes pensées divagues, des gestes ambivalents !

J’étais bien disposée à ne jamais lui dire,

À ne pas aborder ces questions dangereuses !

Si tu ne m’avais dit, j’aurais pu rebondir,

Oublier, ignorer, vivre sans, être heureuse ! »

Voilà ce que j’ai dit à mon informateur,

Espérant ne plus vivre ces tristes maux du cœur.

​

Ainsi s’est-on loupés. J’en ai confirmation.

Que devrais-je penser ? Lui dois-je discussion ?

Ce serait bien utile, et seule solution

Pour clarifier la scène, fixer la relation.

Mais jamais l’un de nous n’oserait commencer,

Je nous connais trop bien, on est lâches, débordés,

Innocents, et puis traîtres, incapables, effrayés.

Jamais l’on n’avouera qu’on aurait pu passer

D’amis très chers à plus que simples confidents.

Le début d’étincelle, qui pouvait allumer

Le feu de nos amours s’est éteint en passant.

L’instant s’est envolé, la minute a glissé.

Nous avons pris deux trains qui partent à l’opposé.

Et lorsqu’on a compris que l’autre avait compris,

Que sans le dire haut, nous avions saisi

Que nous avions manqué notre jeune engouement

Et que nous avions pris deux chemins différents,

Nous nous sommes souri, sourire de tristesse,

Sourire de regret, de vil consentement,

D’intime acceptation de nos propres faiblesses,

Et nos yeux s’éteignaient, silencieux, s’inclinant.

​

Cela fait presqu’un an depuis ce consensus.

D’amis proches, nous voilà presque plus qu’inconnus.

Nos secrets ont terni malgré nos vies croisées,

Et jamais nous n’avons brisé notre traité.

Sans communication complète et infinie,

Les non-dits ont repris leurs droits d’Anastasie

Et finalement las de ne point discuter

Nos destinées ont pris des branches séparées

Et notre affection s’est fanée, prix du soir.

Je tremble maintenant, à l’idée dérisoire

De la froideur épaisse à laquelle je pense

Si je tente de croire aux sentiments intenses

Que je sentais alors, plus proche du brasier

Que du glaçon immense où mon cœur s’est échoué.

Qui pourrait deviner que cette hésitation

Lorsque l’on n’est pas sûr de l’alter adhésion

Et que les embarras semblent être calvaire,

Finirait par manquer lorsqu’on a changé d’air ?

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