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L'histoire vraie de Dieu et ses anges

​Au début du temps de tous les temps, il y avait Dieu et ses Anges. Ils habitaient l’immensité du Ciel. Dieu voulait asseoir son pouvoir et avait donc assigné l’ingrate tâche de gardiens du Ciel aux Anges. Pourquoi ingrate, me direz-vous ? Mais pourquoi vouloir des gardes quand on est seul dans l’immensité ? Le Ciel ne risquait pas d’être attaqué, il n’y avait qu’eux. Non, ce que voulait Dieu, c’était l’absolue obéissance de ses disciples malgré l’absurdité de l’ordre.

La compagnie des gardes fut donc créée.

Lucifer était un des gardiens.

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C’était le plus grand rôle de sa vie, son devoir ultime. Pas un matin il ne se levait sans penser à l’accomplissement de sa tâche, pas un soir il ne se couchait sans penser au travail accompli. (Entendez-moi bien, par les termes matin et soir, je veux dire prise et fin de fonction. C’est pour être plus compréhensible pour tous ceux qui travaillent. Car vous l’aurez deviné, au début du temps de tous les temps, il n’y avait pas de nuit, pas de jour, juste de la lumière qui éclaire l’immensité bleutée du ciel. Reprenons le cours de notre histoire.)

Lucifer avait un ami, Michel.

C’était son alter ego, son frère, le plus grand ami de sa vie. On parle souvent du plus grand amour de sa vie, mais rarement du plus grand ami. Celui pour lequel on donnerait tout. Bien sûr, en tant qu’Ange, Lucifer ne pouvait pas donner sa vie, il était immortel, mais il pouvait donner sa liberté, sa foi, sa croyance, tout ce qui faisait son être. Il n’est peut-être pas nécessaire de mourir pour les gens qu’on aime, disait-il souvent, on peut leur donner bien plus encore.

 

Lucifer et Michel, pensait-on, avaient la même conception de la vie : honneur, fidélité, obéissance, foi.

Et tous les jours que Dieu créait, ils faisaient, pensait-on, de cette maxime une vérité. Ils travaillaient si bien à leur tâche que Dieu les avait nommés Archanges : Chefs des Anges. Vous ne pouvez pas imaginer la fierté de Lucifer lors de leurs intronisations. Ils accédaient à la plus haute marche dont un Ange pouvait rêver. Ils allaient être dans le saint des saints, aux côtés de Dieu lui-même. Oh ! Lucifer ne voulait pas faire partie des décisions divines, il ne voulait pas discuter avec Dieu de telle ou telle affaire. Il ne se sentait pas important parce qu’il était aux côtés de son maître. Non, il se sentait reconnaissant car son maître lui avait fait confiance et avait reconnu sa valeur, et il voulait l’honorer pour cela.

Il croyait que Michel était comme lui.

Il se trompait.

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Bien sûr, Michel aurait tout donné pour son ami. A la différence de Lucifer, il n’était pas prêt à perdre son âme mais il était prêt à mentir, à humilier, à avilir même pour sauver son ami.

A l’opposé de Lucifer, Michel était honoré pour lui-même d’être assis au côté du très haut. Il le méritait et pensait même que cette distinction aurait pu arriver plus tôt.

Mais Dieu, qui entend tout, voit tout et lit dans tous les cœurs savait que Lucifer et Michel étaient comme une pièce de monnaie : un côté pile, un côté face, qui ne doutent pas un instant que l’autre versant puisse être différent, et qui pourtant ne font qu’un.

Bref, en ce jour béni de tous les Saints, quoiqu’il en soit au Ciel tous les jours sont bénis de tous les Saints, Michel était de bonne humeur. Pas un nuage, une lumière radieuse, et la conviction que ce serait une belle journée.

Lucifer, lui, était moins enthousiaste que son ami. Il avait dans le cœur une inquiétude, la naissance d’une souffrance qu’il savait grandissante et éternelle, mais il n’en connaissait ni la cause et encore moins la conséquence.

Seul Dieu savait.

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Comme à leur habitude, les deux compères s’arrêtèrent ce matin-là au café des Anges.

Oui, même au ciel, Dieu avait permis l’ouverture de ces débits de boisson, mais uniquement pour le plaisir des Anges.

Il avait conscience qu’avant ou après une journée de travail, les Anges avaient besoin de se retrouver, de parler, de rire. Bien sûr ils ne ressentaient pas la soif, c’était des Anges tout de même, mais ils savouraient la compagnie de leurs semblables.

De vous à moi, en fait, Dieu avait tout bonnement interdit les boissons alcoolisées. Il savait que l’on n’avait pas besoin de ressentir la soif pour en boire et surtout, surtout, cela lui rappelait une très mauvaise expérience qu’il avait eu avec les soi-disant Dieux Grecs et leur hydromel. Et il n’avait pas envie de recommencer et avait nommé les Archanges responsables de la brasserie. Il y avait un tour de garde d’une semaine et ce matin-là Michel devait remplacer Gabriel.

​

Les deux amis se dirent au revoir, Lucifer et Gabriel partirent en direction de la maison de Dieu et Michel prit sa garde.

Mais que garder, se dit-il. Pas de verres, pas de bouteilles, pas de vaisselle, même pas d’Ange à qui parler…. Mais à quoi sert-on ? Pfut, être nommé Archange et se retrouver là comme un tenancier de débit de boisson, sans boissons, tu parles d’une promotion, toi !

Il commençait non seulement à s’ennuyer, mais aussi à mettre en doute les commandements du très haut. Comme un enfant qui ne sait pas quoi faire malgré sa tonne de jouets, il se mit à tourner en rond.

Tout d’un coup, il s’arrêta, net.

Il ne l’avait jamais vue avant, cette porte. Il s’en approcha et actionna la poignée ; fermée.

Zut ! Pfut ! Tant pis, si Dieu a voulu cette porte fermée, laissons-la fermée se dit-il. Il revint s’asseoir sans conviction devant le comptoir. Mais, là encore comme un enfant, cette porte le taraudait. Oh ! Je peux toujours chercher la clé qui va l’ouvrir ? se dit-il. Et ce qui fut pensé en moins d’une heure se réalisa en moins de cinq minutes. Sa quête devint effrénée, pas un tiroir, un meuble, un tapis, une chaise, un tableau, un pot de fleurs sans fleur (n’oubliez pas, on est au Ciel) ne fut retourné, fouillé, ouvert, déplacé, démonté, désarticulé. Rien. Il ne trouva rien. Il avait tout passé au crible, tout, sauf l’horloge accrochée au mur du ciel. On ne peut pas… L’HORLOGE, les aiguilles de l’horloge sont en forme de clé.

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Ah, pouvez-vous imaginez plus grande joie que celle de Michel à ce moment-là. Comme un petit garçon qui demande pour Noël l’intégrale d’Harry Potter et qui voit arriver chez lui tous les acteurs de la saga tenant à la main une édition collector. Là, vous comprenez.

Avec une ingéniosité sans précédent, il arriva à prendre les aiguilles de l’horloge, sans pour autant arrêter le temps, à les assembler l’une à l’autre pour former une clé, à l’introduire dans la serrure de la porte mystérieuse et à tourner la clenche.

Michel n’ouvrit pas la porte, il la déverrouilla, c’est tout. Il savait qu’il devait garder la porte fermée. Que c’était la volonté du très haut. Il était heureux d’avoir trouvé la solution, son esprit avait été occupé pendant un bon moment. Bien sûr, il avait envie de savoir ce qu’il y avait derrière, mais sans plus. Non, il ne voulait pas désobéir à son Dieu, encore que Dieu ne leur avait même pas dit qu’ils ne pouvaient pas ouvrir la porte ; ce n’était pas de la désobéissance. Mais au fond de lui-même, il savait qu’il n’en avait pas le droit.

C’est à ce moment précis que Lucifer sut que son ami avait fait une terrible erreur. Il demanda à Dieu l’autorisation de s’absenter un moment, prétextant un problème à régler. Dieu le lui accorda à contrecœur.

Car c’était Dieu et il savait.

​

Lucifer trouva son ami dans un état d’excitation, de joie telle qu’il n’avait plus envie de se disputer avec lui, mais plutôt de lui faire comprendre. Parce que, ce que Michel ne savait pas, c’est qu’en prenant les aiguilles de l’horloge, il n’avait certes pas arrêté le temps, il l’avait en quelque sorte détourné. Je vous explique.

N’ayant ni jour, ni nuit, les Anges ne pouvaient pas savoir à quel moment prendre leur poste, et à quel moment arrêter. C’était des gardiens, avec des rondes, des gardes, et ce dans l’immensité du Ciel, dans l’infini. Cette horloge était visible de tous et le temps était le même pour tous. Si l’horloge du Ciel n’avait plus ses aiguilles, le matin devenait le soir dans tel coin et l’après-midi des matinées dans telle autre partie de l’immensité. Les Anges avaient perdu leur unique repère et allaient donc s’en créer un autre, un pour chaque compagnie, voire un pour chaque Ange, et cela, Dieu ne pouvait le permettre. Ils devaient tous être au même diapason.

Lucifer l’avait compris, mais pas Michel. Lucifer tentait de faire comprendre à son ami son erreur et le suppliait de remettre tout de suite les aiguilles en place.

Mais ce que ne savaient pas les Archanges, c’est qu’une fois les aiguilles enlevées, elles ne pouvaient plus être remises.

Seul Dieu savait.

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Michel fut donc convoqué devant le très haut. Il se présenta devant Dieu. Bien sûr, son plus grand ami était à ses côtés.

Michel se défendit comme un beau Diable devant Dieu.

Lucifer protégea son ami tel un ange devant Dieu.

Michel dénonça l’Archange précédent de ne pas avoir caché la porte.

Lucifer se dénonça de ne pas avoir caché la porte.

Michel critiqua la vacuité de leur tâche devant Dieu.

Lucifer baissa la tête et ne dit plus rien.

Dieu leva la main. Dans son immense mansuétude il pardonna à Michel son forfait. Il demanda à tous les Archanges présents dans la salle de sortir, sauf Lucifer, et Dieu lui dit:

 « Je n’ai pas le choix, mon ami.

Il n’y a que toi à qui je puisse imposer plus grand déshonneur.

Il n’y a que toi à qui je puisse infliger la plus grande souffrance qui puisse exister.

Il n’y a que toi qui acceptera ma sentence et ne m’en tiendra pas rigueur car

Il n’y a pas de plus grand ami que toi, Lucifer et

Il n’y avait pas plus honorable, loyal et fidèle sujet que toi, Lucifer. » 

Et Lucifer ressentit encore plus violemment l’inquiétude du matin, la naissance de cette souffrance. Elle devint chagrin.

« Je ne peux plus changer la course du temps, je ne peux que donner un autre repère.

Je vais créer la nuit. Ce sera ton royaume. Tu en seras le maître. »

​

Dieu ressentit l’immense peine de Lucifer et il décida.

​

« Je vais créer les étoiles et la lune. Elles te serviront de maison, et quelquefois de lit, car tu auras besoin de reposer ton chagrin, mon ami.

Je ne peux pas changer les Anges, je ne peux que leur donner un autre repère.

Ils auront une raison d’être. Ils deviendront des Anges gardiens. Je vais donc leur créer les hommes. Je leur donnerai la terre comme paradis.

En contrepartie, les hommes devront m’honorer. Pour avoir la foi, la croyance, la ferveur de ces hommes, je dois leur montrer la punition, la crainte, la terreur.

Ils se créeront l’Enfer, tu en seras le maître.

Tu seras l’idée de cette punition, de cette crainte, de cette terreur. Tu deviendras le responsable de tous leurs maux. Ainsi, je pourrai les accueillir en mon sein.

Je devrai tout leur pardonner, même l’impardonnable.

Je te fais mon égal, mon ami. Tu auras les mêmes pouvoirs que moi. On aura chacun notre royaume.

Moi, le jour, la lumière, le Paradis.

Toi, la nuit, l’obscurité, l’Enfer. » 

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Lucifer exhala un long soupir. Il ne dit rien car tout était dit.

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Il salua celui qui n’était plus son maître, se retourna et s’en alla. Avant qu’il ne disparaisse tout à fait, Dieu lui dit :

 « Ne t’inquiète pas pour Michel, il sera toujours à mes côtés.  »

Lucifer ébaucha un sourire, il était heureux pour son plus grand ami.

Ce qui fut dit, fut fait.

Chacun prit ses quartiers, ses pouvoirs, ses fonctions.

Ce que Dieu n’avait pas dit à Lucifer, uniquement pour ne pas rajouter de la peine à son chagrin, c’est qu’il devait effacer la mémoire de tous les Anges et Archanges ; même pour eux, Lucifer devait devenir le Diable. Michel ne se souviendrait donc plus de son ami perdu.

Ce que Dieu ne savait pas, c’est que Lucifer savait.

Car en devenant son égal, il était comme Dieu.

Lui aussi savait tout.

Magali Banoun

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